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Wero, un projet européen sous pression – Partie 1

16 avril 2025

Thomas Bahon

Rédigé par Thomas Bahon

Origine et contexte du projet

 

L’European Payments Initiative (EPI), anciennement PEPSI (oui, vraiment !), est la nouvelle initiative européenne qui, après l’abandon du Plan Monnet, vise à créer une solution de paiement paneuropéenne capable de rivaliser avec les géants américains et chinois du secteur.

Wero est une solution de paiement instantané Account-to-Account (A2A) en euros, intégrée directement aux applications bancaires des établissements participants. D’abord limitée aux paiements entre particuliers (P2P) via l’utilisation du numéro de téléphone du bénéficiaire, la solution a vocation à élargir rapidement ses cas d’usage, notamment aux paiements marchands (P2B), pour rattraper les fonctionnalités des solutions qu’elle remplace et s’étendre à d’autres pays de la zone euro.

 

Si Wero ambitionne de concurrencer les champions américains Visa et Mastercard pour devenir une solution de référence en Europe, elle devra également composer avec de nombreux acteurs locaux et internationaux :

  • D’autres solutions A2A via applications bancaires, avec ou sans utilisation du numéro de téléphone du destinataire ;
  • Des solutions de paiement mobile « stand-alone », adossées ou non à des comptes bancaires ou cartes de paiement ;
  • Des solutions de paiement en euros présentes sur mobile, en ligne ou en point de vente.

Qu’il s’agisse de concurrence, de partenariat ou de consolidation, il est donc essentiel de dresser un état des lieux des forces en présence dans les pays de la zone euro.

Dans cette 1ère partie, nous passons en revue les pays où Wero est déjà présent, ainsi que le Luxembourg, où les banques locales prévoient de rejoindre l’initiative fin 2025, et les Pays-Bas, où la solution locale iDEAL sera progressivement remplacée par Wero à partir de 2026.
 

Usage des moyens de paiements par contexte

  • Paiements POS

Sources: ECB, calculs basés sur les données de « De Nederlandsche Bank », la « Dutch Payments Association » (2024) et la « Deutsche Bundesbank » (2024).

Remarques : La catégorie « Cartes et applications mobiles » comprend les cartes physiques (cartes de débit et de crédit) et les cartes prépayées (en point de vente et en ligne) ; le téléphone mobile, la montre connectée, le bracelet fitness ou tout autre appareil intelligent (en point de vente) ; les portefeuilles de paiement, PayPal et autres applications mobiles (en ligne). La catégorie « Autres » comprend les chèques bancaires, les prélèvements automatiques, les points de fidélité, les bons d’achat et cartes-cadeaux, les crypto-actifs, les services de type « acheter maintenant, payer plus tard », ainsi que d’autres instruments de paiement.

France

France

En 2023 : 34 milliards de paiements scripturaux, pour une valeur de 35 000 milliards d’euros. La carte représente 61 % des paiements, contre 22 % pour les virements.

En 2022, Paylib comptait environ 42 millions de transactions, pour une valeur de 2,5 milliards d’euros. Un chiffre à la fois conséquent… et marginal, représentant à peine 0,15 % du total des transactions. Et ce, malgré une offre étendue (P2P, paiements en magasin, en ligne…). Le service en ligne a été arrêté en 2023 et sera totalement remplacé par Wero d’ici fin 2024.

CB laissera-t-il un peu de place à Wero ?

Mais Paylib avait-il vraiment une chance ? Lancé en 2013 par seulement trois banques (BNP Paribas, Société Générale et La Banque Postale), celui qui voulait être le « PayPal français », puis le « Apple Pay français », n’a jamais réellement complètement séduit — ni les usagers, ni les autres banques. Le Crédit Mutuel, par exemple, a préféré signer d’abord avec Apple Pay, avant de rejoindre Paylib tardivement, en 2018.

Peu promu, parfois complexe à utiliser, inégalement déployé selon les banques, Paylib devait aussi faire face à un concurrent redoutable : la carte bancaire CB.

En France, plus des deux tiers des paiements se font par carte, même sur Internet. Ce réseau local, co-badgé avec les deux géants américains pour les paiements à l’international, domine le marché et génère des revenus importants pour ses membres.

Dès lors, Wero aura fort à faire pour s’imposer. D’autant que le GIE CB applique déjà une politique tarifaire agressive pour séduire les commerçants, et qu’il affiche aujourd’hui des ambitions internationales dans le cadre du plan CB Dynamique, avec une extension vers les pays frontaliers d’ici 2026.

Quelle sera donc la position des banques françaises, à la fois membres du GIE CB et participantes à Wero ? Que diront-elles à leur « nouveau » collègue, JPMorgan Chase, désormais membre principal du GIE CB depuis février 2024 ? Une affaire à suivre…

Wero, Payconiq, Bancontact : va-t-il n’en rester qu’un ?

Belgique

Belgique

Wero, Payconiq, Bancontact: va-t-il n’en rester qu’un ?

En 2023 : près de 6 milliards de paiements scripturaux pour une valeur d’environ 9 000 milliards d’euros. Plus de la moitié sont effectués par carte, un tiers par virement. Ces derniers représentent 90 % de la valeur totale, dont 70 % via application mobile. Les virements instantanés (valeur moyenne de 840 € vs. 4 600 € pour les virements classiques) représentent 15 % des virements. En 2022, ils étaient estimés à 300 millions de transactions, soit 7 fois plus qu’en France pour une population 6 fois moindre.

Bancontact Payconiq est issu de la fusion, en 2018, entre Bancontact (solution de paiement par carte avec QR code dès 2014) et Payconiq Belgique, elle-même filiale de Payconiq Internationale, société luxembourgeoise d’ING pionnière du modèle A2A dès 2015.

Aujourd’hui, l’expérience utilisateur est double : via l’app Payconiq, ou directement dans les apps bancaires. Wero va progressivement remplacer la marque Payconiq, tout en capitalisant sur les solutions existantes, notamment pour les paiements marchands.

Payconiq by Bancontact propose des parcours innovants, par exemple pour gérer les titres-restaurant ou chèques-cadeaux (Pluxee, Edenred, Monnize), intégrés à l’app avec un paiement complémentaire éventuel.

En résumé, en Belgique, Wero est chez lui. La transition sera avant tout marketing pour la solution. Paradoxalement, c’est l’avenir de Bancontact, qui s’était élargi au co-badge Visa en 2021, qui apparaît dès lors plus incertain quand Wero se penchera sur l’acceptation en proximité. Le succès de l’un pourra-t-il remettre en cause la pertinence de l’autre ? Même si le pays est habitué au cohabitation, la questions reste posée.

Allemagne

Allemagne

En 2023 : un paiement sur deux est encore effectué en espèces, bien qu’elles ne représentent qu’un quart de la valeur totale. Les cartes, surtout de débit, représentent un tiers des paiements et 40 % de la valeur.

Le paiement mobile y est plus courant qu’en France ou en Belgique, mais repose surtout sur Apple Pay, Google Pay, Samsung Pay. En ligne, PayPal domine (12 % des transactions), dans un contexte de méfiance vis-à-vis du crédit comme des commerçants. Les options « Cash on Delivery » ou « Buy Now Pay Later » (sans frais pour le client) sont également prisées.

Le marché allemand est fragmenté et ultra-concurrentiel. Preuve en est : Giropay, soutenu par les banques publiques, a cessé ses activités fin 2024, incapable de rivaliser avec PayPal, Amazon Pay ou Klarna et sera rapidement remplacé par Wero.

Que cache ce cache-cache avec le Cashgroup ?

Pour Wero, la tâche s’annonce difficile aussi au niveau des banques. Même si les banques coopératives et publiques soutiennent le projet, les banques privées du Cash Group sont absentes, à l’exception notable de Postbank (filiale de la Deutsche Bank depuis 2010), seule mentionnée dans les communications officielles. Deutsche Bank, Commerzbank, UniCredit ne sont pas encore impliquées. Seul le néerlandais ING BiBa est annoncé, mais sans aucune date pour le moment.

Petit détail cocasse : la société WERO GmbH & Co. KG a dû préciser publiquement qu’elle n’a aucun lien avec le projet, rappelant par la même les péripéties dans le choix du nom de la monnaie unique.

En bref, en Allemagne, le chantier Wero sera de longue haleine.

Luxembourg

Luxembourg

Un parcours à l’image du pays : une petite route, mais à forte dénivelé

En 2023 : Les volumes sont logiquement biaisés par le statut de place financière majeure du Grand-Duché, représentant à eux-seuls 5 % des échanges européens non fiduciaires. Pour les particuliers, 244 millions de transactions par carte de débit ont été enregistrées. Mais la montée des paiements sans contact, voire sans carte pourrait bouleverser cet équilibre.

Le Luxembourg a un intérêt stratégique pour Wero : Payconiq y est déjà disponible via toutes les banques de détail majeures, ce qui facilitera l’adoption de Wero dont le déploiement devrait débuter à la fin 2025. Le pays vise une digitalisation forte, inspirée des modèles nordiques, attirant par la même tous les géants du paiement : PayPal, Apple Pay, AliPay

Pour autant, le marché reste limité, ce qui complique la rentabilisation des investissements pour les banques. Le défi est donc autant technologique que financier pour ces dernières.

Pays-Bas

Pays-Bas

En 2023 : la carte reste dominante pour les paiements de proximité, mais passe à 54 % en 2024, les applications mobiles atteignant 19 %.

Sur Internet, iDEAL est ultradominant avec 70 % des transactions.

Créée en 2005 par un consortium de banques, iDEAL a incarné, à sa manière, la souveraineté européenne en matière de paiement — au moins en ligne. Son modèle est simple : redirection vers le site de la banque pour authentification et validation.

Le contexte local explique son succès : peu de cartes de crédit, défiance envers le crédit, mais confiance envers les commerçants (le chargeback n’existe pas sur iDEAL).

Transférée à Currence en 2006, la gestion d’iDEAL a été reprise par l’EPI en 2023. Le défi est donc double : assurer l’interopérabilité avec la solution européenne, et remplacer une marque aussi puissante qu’iDEAL, qui a dépassé le milliard de transactions en 2022.

Comment succéder à iDEAL qui a déjà tant accompli ?

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