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Wero, un projet européen sous pression – Partie 2

16 mai 2025

Thomas Bahon

Rédigé par Thomas Bahon

Alors que Wero a encore fort à faire sur les marchés sur lesquels il est déjà présent ou en passe de l’être (voir Partie 1), d’autres solutions concurrentes sont déjà disponibles sur d’autres marchés européens, qu’ils soient déjà dans la zone euro ou soumis à une obligation de la rejoindre à terme.

Du Sud au Nord, en passant par l’Est, ces solutions locales remportent souvent un succès notable. Succès qui tient compte à la fois de leurs spécificités locales : population jeune très mobilisée, appétence bancaire pour le tout numérique et/ou taille de marché ne facilitant pas l’émergence de plusieurs solutions dédiées.

Cet article vous propose un tour d’horizon de l’ensemble de ces solutions et vous résume les défis que devra encore affronter Wero pour devenir la véritable solution paneuropéenne que ce moyen de paiement prétend devenir. Des solutions qui, pour la plupart, font logiquement partie des 11 membres – au même titre que Bancontact Payconiq et iDEAL (voir Part. 1) – de l’European Mobile Payment Systems Association.

    Bien sûr, cet article n’oublie pas le troupeau d’éléphants dans la place que représentent Paypal, les Mobile Wallets Apple Pay, Google Pay, Samsung Pay et autres « Chinese Pay », ainsi que toutes les autres solutions de paiements C2C ou B2C disponibles en Europe, notamment les cartes Visa, Mastercard et les cartes locales. Toutefois, l’intérêt ici est d’évoquer les solutions directement concurrentes qui, à un moment ou à un autre, représenteront soit une opportunité, soit un obstacle dans le développement de Wero, selon que des accords d’interopérabilité pourront ou non être trouvés.

    Des solutions qui, comme celles que Wero doit déjà remplacer, peuvent être des sources d’inspiration pour développer les usages de Wero en tirant profit d’une expérience de paiement originale – dans le sens de différente des paiements par carte et autres wallets reposant sur les cartes de paiement – tant en ce qui concerne le fonctionnement du paiement lui-même que les cas d’usage.

    Au Sud

    À date, aucune banque italienne, espagnole ou portugaise ne participe à Wero. Même si cette situation n’hypothèque pas l’avenir, et que la présence de l’Italien Nexi au sein de Nexo, très actif dans l’Open Payment jusqu’à signer un partenariat avec MasterCard sur ce sujet, peut légitimement laisser penser qu’il pourrait en être différemment plus tard, cela reste au moins le signe d’un certain attentisme.

    Attentisme qui n’est pourtant pas à lier à un désintérêt pour les solutions A2A. Bien au contraire, puisque Bancomat Pay (Italie), Bizum (Espagne) et MB Way (Portugal) sont toutes des initiatives des réseaux interbancaires locaux et se sont déjà regroupées sous l’appellation EuroPa (European Payments Alliance), qui a elle-même tout d’un pied-de-nez à l’initiative européenne « officielle » initiée par l’EPI. Elles ont annoncé leur interopérabilité pour le mois de juin prochain.

    Avec, en 2023, 2 milliards de transactions pour Bancomat Pay, 1 milliard pour Bizum et un peu plus de 100 millions pour MB Way, on peut parler de solutions matures, eu égard à la démographie de ces pays. En Grèce, IRIS Payments, la solution initiée par le réseau interbancaire local DIAS, trace également son chemin avec plus de 50 millions de transactions en 2024.

    À l’Est

    Blik (Pologne) et RoPay (Roumanie) sont les deux initiatives A2A les plus notables. Le premier a annoncé de grandes ambitions, s’étant déjà lancé à la conquête du marché du second et associé à Revolut pour son expansion, tout en communiquant sur sa volonté de rejoindre l’Alliance EuroPa et de constituer à lui seul une solution paneuropéenne.

    Blik est une initiative du Polski Standard Płatności (Polish Payment Standard – PPS), l’association de six banques polonaises, et est venue compléter l’offre de Przelewy24, plus connue sous le nom de P24, qui était jusqu’alors la pépite du marché polonais du paiement en ligne. À noter que P24 a d’abord construit son succès sur le paiement par virement bancaire par web scraping, que la PSD2 est venue réguler, avant d’élargir son portefeuille de moyens de paiement et de devenir un PSP à part entière. Blik a annoncé avoir réalisé, en 2024, 2,4 milliards de transactions et 7 milliards sur 10 ans. Un succès évident.

    RoPay est, une nouvelle fois, une initiative d’un réseau interbancaire local, Transfond. Lancé officiellement en octobre 2024, RoPay est encore à ses balbutiements : il ne couvre pas encore toutes les banques locales, ne propose pas encore une solution unifiée pour les marchands, et toutes les banques participantes n’ont pas encore ouvert l’accès au service pour ces derniers.

    On peut également citer la solution A2A slovène Flik Pay et la slovaque Viamo, cette dernière ayant été rachetée par Blik, décidément très actif à l’Est, et qui peut être intégrée par les marchands via PayU.

    Au Nord

    Swish (Suède), Siirto (Finlande) et le couple Vipps-MobilePay (Norvège, Danemark, Finlande) sont présents. Certes, les couronnes scandinaves sont encore loin d’abdiquer en faveur de l’euro*, et la relation « je t’aime, moi non plus » entre la Suède et les autres pays est autant de freins à une solution 100 % scandinave, mais pour Wero, ce marché majeur et très actif sera forcément tôt ou tard sur sa roadmap.

    Les pays baltes ne sont pas en reste et adoptent, au niveau local, différentes initiatives pour favoriser l’Open Banking.

    La Finlande a déjà adopté l’euro, la Suède est « officiellement » tenue de le faire si elle remplit les critères, le Danemark est « exempté » de cette obligation et la Norvège ne fait pas partie de l’Union européenne.

    La roadmap Wero

    Ainsi, on voit que l’avenir de Wero, décrit par Martina Weiner, CEO de l’EPI, ne manque pas de défis à relever, en plus de ceux à accomplir au niveau de la roadmap actuelle :

    • se développer en France et en Allemagne comme jamais ses prédécesseurs Paylib et Giropay n’ont réussi à le faire,
    • couvrir le P2B déjà couvert par Payconiq en Belgique et surtout iDEAL aux Pays-Bas à partir de l’année prochaine,
    • et arriver en proximité à partir de 2027.

    En France, même s’il est trop tôt pour tirer des conclusions, on peut au moins constater que Wero bénéficie depuis octobre 2024 d’une campagne publicitaire ( « I need a Wero », Buzzman) bien plus présente et punchy que celle de la dernière campagne PaylibToutes vos histoires peuvent compter sur Paylib », Herezie). Cette campagne s’adresse clairement à une population jeune qui doit sans doute un peu pâtir d’un non-empressement des néobanques et autres banques en ligne à proposer Wero.

    Si les banques en ligne françaises BforBank (filiale du Crédit Agricole) ou Fortuneo (filiale d’Arkéa) entrent, à leur rythme, progressivement dans le rang, il est intéressant de constater l’approche particulière de Boursobank (filiale de SG) qui ne propose pas officiellement Wero, mais offre tout de même à ses utilisateurs de faire des virements par SMS. Boursobank qui, comme ses consoeurs, ont déjà montré sa défiance vis-à-vis des initiatives franco-françaises en abandonnant la marque CB de ses cartes de paiement.

    Les fondamentaux

    Dans tous les cas, il est heureux de constater que Martina Weiner prévoit, dans les développements de Wero, les cas d’usage (paiement récurrent) et le scope fonctionnel (utilisation de QR code). Même s’il serait sans doute intéressant de lui faire découvrir tous les cas d’usage couverts aujourd’hui par Payconiq en Belgique (paiement en complément des chèques-repas ou cartes-cadeaux, paiement de factures), et peut-être lui indiquer que le QR code est utilisé en Belgique depuis 10 ans pour effectuer des paiements par Bancontact, et que cette solution a été largement adoptée par Blik, Bizum, Bancomat Pay, etc.

    Si la « QR code generation and payments through this technology are also somewhat new to Europe », c’est en fait dans cette définition très réductrice de l’Europe, quand on la résume à la France et l’Allemagne.

    Certains n’y verront que des supputations, mais le succès des solutions A2A citées tout au long de cet article tient certainement au fait qu’elles proposent des expériences de paiement et des cas d’usage que ne proposent justement pas – ou mal – les cartes de paiement classiques et leurs pendants mobiles XPay.

    Le QR code, qui ne se résume pas à une mauvaise expérience de passe sanitaire, a tout pour faciliter l’expérience d’un paiement simple et sans erreur.

    De la même façon, pouvoir compléter aisément des paiements effectués via les solutions à crédit limité/régulé (type Pluxee/Sodexo ou Edenred) a toujours été une gageure pour les marchands. L’intégration des APIs de ces émetteurs dans les applications bancaires belges, qui permettent de gérer paiement et complément en une seule interface, est un véritable game changer pour le secteur.

    Evidemment, tout cela pour ressembler à la supplique d’un bruxellois qui voudrait plus de sauce « belge » dans son Wero, mais c’est une réalité également ailleurs :

    • Le « Tikkie» aux Pays-Bas, créé par ABN-AMRO et dont le principe est repris par les autres banques néerlandaises, qui permet de payer ses factures ou de partager des frais entre-amis en utilisant iDEAL.
    • Le programme de fidélité BPlay qui permet aux utilisateurs de Bancomat Pay de profiter d’avantages et de cashback.
    • La possibilité avec Bizum de non seulement acheter ses tickets de loterie, mais également de recevoir ses gains.
    • La possibilité de verser ou retirer de l’argent au distributeur avec Blik.

    Une conclusion toujours identique

    Bref, autant que des marchés à conquérir, il y a des expériences Wero à créer et à développer à travers l’écosystème des applications bancaires. Et c’est finalement là encore la même conclusion (voir Part. 1) : le succès de Wero dans chaque marché dépendra en grande partie de la volonté des banques locales à parier sur Wero tout en favorisant les opportunités de l’utiliser.

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